Melanocoryphus albomaculatus à la Heid des Gattes :
histoire d'une découverte.


Durant le printemps et l'été 2008, nous avons pu observer dans la réserve de la Heid des Gattes une punaise peu commune en Belgique : Melanocoryphus albomaculatus. La plupart des observations concernent la carrière de la Falize mais quelques individus ont été observés dans la carrière du Goiveux et même sur l'ancien chemin de halage, au pied de la réserve.

Melanocoryphus albomaculatus est une punaise de taille moyenne (7-9.5 mm) appartenant à la grande famille des Lygéidés. Comme son nom latin l'indique, elle a une tête noire et un point blanc sur la partie membraneuse de chaque hémélytre, mais les deux taches noires en forme de crochets sur son corselet (pronotum) associées au point noir sur le fond rouge de chaque corie permettent d'en confirmer aisément l'identification.

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Il faudra se garder de la confondre avec d'autres punaises allongées colorées de rouge et de noir également observées dans la carrière :

Corizus hyoscyami, très fréquente, dont la tête est rouge et qui n'a pas de point blanc sur les membranes,

Lygaeus equestris, la Punaise écuyère, nettement plus grande, qui a aussi un point blanc sur les membranes, mais dont le dessin noir du corselet et des cories est très différent,

Horvathiolus superbus, rare, nettement plus petite, dont les taches du corselet sont rectangulaires et non en crochets.

Trois autres espèces, que nous n'y avons pas encore rencontrées, pourraient également être observées dans d'autres parties de la réserve :

le très commun Gendarme (Pyrrhocoris apterus), qui vit sur les vieux tilleuls ou les mauves dans des endroits bien exposés,la Punaise à damier (Spilostethus saxatilis), peu commune chez nous, pourrait être découverte dans les prés frais du sommet de la réserve,la Punaise de l'Asclépiade (Tropidothorax leucopterus), à rechercher sur les chemins forestiers bordés de Dompte-venin, sa plante hôte exclusive.

Melanocoryphus albomaculatus est très commune au pourtour de la Méditerranée et son aire de répartition s'étend vers l'est jusqu'en Asie centrale. En France, elle est relativement commune dans le Sud mais devient rare au nord d'une ligne Nantes-Paris-Colmar. On la trouve dans toute la moitié Sud de l'Allemagne mais le nombre de mentions y est peu élevé. En Belgique, moins de 10 observations sont rapportées, dont beaucoup ont plus de 20 ans. L'observation de 2007 à Evere, en région bruxelloise, semble la plus septentrionale pour notre pays.

Il s'agit d'une espèce réputée xérothermophile et le milieu où nous l'avons observée est, à cet égard, très significatif. Il s'agit d'un éboulis horizontal exposé plein sud, formé de pierres de grès de quelques décimètres-cubes résultant de l'exploitation de la carrière, riche en interstices où les punaises vont se cacher prestement quand elles sont inquiétées. De mai à juillet, nous ne les avons jamais vues s'envoler.


Melanocoryphus albomaculatus se nourrit surtout de graines variées tombées au sol. L'éboulis où nous les avons observées est pauvre mais plusieurs espèces végétales s'y portent bien : Sedum album, Leucanthemum vulgare et Senecio inaequidens en particulier, et une végétation plus fournie borde directement le site. À deux reprises nous l'avons observée en train de sucer des graines d'astéracée « sur pied ». Une affinité particulière pour les espèces du genre Senecio est d'ailleurs décrite dans la littérature.

Chez cette espèce, les adultes hivernent dans la litière ou sous les pierres. Leur activité reprend dès mai, ce qui correspond bien à nos observations (premier contact le 8/5/2008). Nous avons observé des copulations début juin et des adultes de façon continue jusque dans le courant du mois de juillet.

L'espèce a disparu de notre vue durant le mois d'août et nous n'avons pu observer les larves. La littérature rapporte l'émergence des imagos de la nouvelle génération dès la fin août, mais sur ce site nous avons dû patienter jusqu'à la mi-septembre. Les individus observés à cette époque étaient nettement plus prompts à s'envoler, spontanément ou pour fuir. Notre dernière observation a eu lieu le 26 octobre.

Notre observation et celle de Bruxelles l'année précédente pourraient refléter l'extension de l'espèce vers le nord, peut-être sous l'influence du réchauffement climatique. Il faut cependant rester prudent dans cette interprétation, car l'espèce est décrite comme pouvant présenter une abondance exceptionnelle certaines années favorables. Seul le suivi attentif du site et des autres sites favorables au cours des prochaines années permettra de trancher.


Le suivi ...

C'est ainsi que je clôturais l'article basé sur les observations de 2008. Les années 2009 et 2010 nous ont permis de mieux connaître la dynamique de population et l'écologie locale de cette espèce.

Si le foyer initial reste le plus populeux, la punaise est actuellement retrouvée partout dans la carrière et est présente le long du chemin d'accès à plus de 100 mètres dans une portion semi-ombragée. On la retrouve au pied du massif jusqu'à Aywaille (observée sur un poteau électrique) et je l'ai observée à plusieurs reprises à Awan, sur l'autre versant de l'Amblève, à 3 km de la réserve. Quelles qu'en soient les raisons, l'espèce est donc bien en expansion dans la région.

En 2009 des imagos sont observés dès le 10 avril jusque dans le courant du mois d'octobre. Néanmoins, ces deux derniers hivers, j'ai observé des imagos tenter d'hiverner dans ma maison à Awan (rive gauche donc), dont un actif en plein mois de janvier. Le "creux estival" des observations noté en 2008 ne s'est pas nettement confirmé au cours des deux années suivantes.

En 2008 et 2009 les rares observations d'alimentation n'étaient notées que sur Senecio inaequidens. Mais au printemps 2010 des imagos se nourrissaient et copulaient en masse sur les fruits de Helleborus foetidus. D'autres observations sur Taraxacum sp et Senecio jacobaea confirment, chez nous aussi, le caractère polyphage de l'espèce.

Christine Devillers et Serge Bertrand ont également découvert (au moins trois observations) sur le site de la Falize, un prédateur spécifique des Lygéidés : la peu commune Prostemma guttula (Nabidé), qui repère ses proies à l'odeur. Je ne sais si cette observation peut-être considérée comme un indice de bonne santé de la population locale de Melanocoryphus albomaculatus, même si cette hypothèse est assez tentante.


Éric Steckx, 2 décembre 2010